Nous sommes le samedi 10 juin à Bretigny-sur-Orge. Autrement dit, nous sommes le second jour de l’édition 2017 du Download France, il est presque 13h et il fait déjà plus d’une trentaine de degrés. Inutile donc de préciser que toutes les personnes que je croise coulent à grosses gouttes et ont une tendance non négligeable à se transformer à vue d’œil en écrevisse rouge écarlate. Quoi qu’il en soit, c’est alors que j’errais désespérément à la recherche d’un coin d’ombre, qu’Hypno5e vint à ma rescousse à m’accueillant à bras ouvert dans la grande tente lui servant de loge. Ni une ni deux, je me glisse dans un des fauteuils en face d’Emmanuel Jessua et de Cédric « Gredin » Pagés qui se font une joie de se prêter au jeu de mes questions-réponses. Retour sur un entretien très sympathique avec des passionnés, des vrais qui respirent musique, qui vivent musique, qui mangent musique et qui certainement font plein d’autres trucs musique…

Propos du groupe recueillis par Romain Richez.


Pour la traditionnelle question du début d’interview, pouvez-vous présenter Hypno5e, son histoire et sa musique ?

Emmanuel Jessua : Alors pour faire simple, Hypno5e a été monté en 2004 par Thibault (le batteur originel), Jérémy (le premier guitariste) et moi. A la base, Hypno5e était un trio, il n’y avait pas de bassiste. Nous avons intégré, Cédric à la basse après notre premier maxi. Aujourd’hui, Gredin et moi sommes les deux plus anciens membres. Jonathan a remplacé Jérémy à la guitare et Théo a remplacé Thibault à la batterie. Hypno5e a sorti trois albums, dont le dernier Shores Of The Abstract Line en février 2016. S’il faut se coller une étiquette, Hypno5e joue une espèce de Metal « Cinématographique ». « Metal Cinématographique », à savoir des morceaux très longs, des passages très ambiants et d’autres bien plus violents.

Pour introduire quelque peu nos propos, comment Hypno5e voit la scène française actuelle ?

Emmanuel : Je pense que le Metal « français » a avancé sur la scène internationale notamment grâce à Gojira. Aujourd’hui, il tend à être mieux représenté et commence à être bien plus présent. Avant, c’était un peu plus « has-been », on n’était pas mal en retard sur ce qui pouvait se faire ailleurs. Maintenant, le reste du monde jette plus facilement une oreille sur le Metal « français ». Et c’est une très bonne chose, car nous avons d’excellents groupes ici en France !

Cédric « Gredin » Pagés : Du coup, on est moins « has-been » que les Italiens et les Allemands, c’est ça ? (rires) Plus sérieusement, le groupe qui me plaît particulièrement en ce moment, c’est Regarde Les Hommes Tomber. Mais c’est difficile de parler en termes de pays, genre en « Metal de France » etc. Le Metal est une musique vraiment « internationale », et ce, jusque dans des pays où on ne supposerait même pas qu’il y ait du Metal… Donc parler de « Metal français », « Metal Made In France », je ne trouve pas ça très prégnant. Je cherche avant tout à découvrir des groupes qui me plaisent, peu importe leurs origines. Alors s’ils sont Français, c’est très bien, s’ils ne le sont pas, cela ne change pas grand chose. Un groupe qui me plaît particulièrement en ce moment, c’est Batushka, un groupe polonais qui intègre du chant grégorien dans son Metal. Je trouve ça vraiment sympa !

Toute à l’heure, pour définir Hypno5e, Emmanuel a utilisé l’expression « Metal Cinématographique ». A quoi renvoie cette dernière ?

Emmanuel : Nous nous sommes mis cette étiquette car il fallait définir le groupe, définir Hypno5e. Même si j’ai toujours beaucoup de mal à mettre des mots sur ce que l’on fait, car notre musique traverse beaucoup de choses, « Metal Cinématographique » collait le mieux à notre univers. « Metal Cinématographique » renvoie à la manière dont nous structurons nos morceaux, nos albums. Nous essayons de scénariser les choses en faisant « dialoguer » des samples issus d’interviews, de textes ou de films. Samples qui, mis ensemble, créent une espèce de dramaturgie propre à chaque album. La musique, en elle-même, est construite comme un parcours, un voyage d’un point A à un point B. C’est cette manière de construire une « narration » entre les morceaux qui fait que « Metal Cinématographique » résumait bien Hypno5e. Pour ça, mais également car il y a toujours eu la volonté de faire côtoyer la musique et le cinéma au sein d’Hypno5e. Cela se manifeste notamment par l’écrit, la composition mais également par des projections vidéos lorsque nous jouons en salle.

Gredin : Du coup, à l’écoute, cela donne beaucoup de textes « parlés », posés sur de la musique, comme si nous écoutions un film. En concert, nous projetons des images, mais ce sont des images suggérant des choses et non imposant des choses. Ainsi, chacun peut se faire une image narrative de la musique d’Hypno5e dans sa tête, cela laisse la place à l’imagination de chacun.

Venons-en à la question « gros boulard » du jour : que ressent Hypno5e à l’idée d’être considéré comme une valeur sûre et une future pointure de la scène, qu’elle soit nationale ou internationale ?

Emmanuel : La question « gros boulard », c’est celle où il faut répondre en se la pétant, c’est ça ? (rires)

Gredin : Plus sérieusement, cela fait plaisir que des gens disent ça de nous. Cela fait douze ans qu’on tourne ensemble, nous avons tourné partout et notre musique est loin d’être évidente. Alors, cela fait vraiment plaisir d’entendre ce genre de compliments.

Emmanuel : Tout à fait ! Au début, Hypno5e a vite été confronté à une espèce de barrière musicale et ce, à la fois dans les circuits « Metal » et dans les circuits « non Metal ». En fait, dans les circuits « Metal », Hypno5e n’était pas assez « Metal » pour être bien reçu car notre musique comporte de nombreuses parties calmes. Inversement, dans les circuits « Non Metal », Hypno5e était considéré comme trop « Metal » pour être véritablement présent. Quelque part, nous savions que c’était à force de tourner que nous finirions par nous faire une place dans ces circuits, que tout cela se jouerait par le live. C’est après toutes ces années de tournées, mais surtout après le succès d’Acid Mist Tomorrow (sorti en 2012) et de Shores Of The Abstract Line que les choses se sont améliorées pour nous, qu’elles ont évolué dans le bon sens. Alors forcément, c’est très agréable de se sentir apprécier. Surtout qu’à la base, c’était loin d’être gagné, par exemple nos deux premiers albums (Des Deux L’Une Est L’Autre et Acid Mist Tomorrow) ont été sortis en autoproduction totale. Maintenant qu’il y a une certaine « reconnaissance » de notre musique, que les gens viennent vraiment nous voir en concert, nous sentons que tout le travail fournit pendant dix ans n’a pas été inutile.

Gredin : Mais ce qui nous a réellement aidés est d’avoir tourné avec Gojira. Grâce à Gojira, les gens savent ce que nous faisons, la musique que nous faisons. Gojira nous a permis d’avoir une certaine visibilité, que les gens aiment ou non ce que nous faisons. Donc finalement, c’est un ensemble de petites choses qui commence à porter ses fruits.

Après la question « gros boulard », la question « bateau »: parmi tous les albums d’Hypno5e, s’il ne fallait en garder qu’un seul, lequel serait-ce ?

Emmanuel : L’album qui arrive, quelle question ! Elle porte vraiment bien son nom celle-là ! « Bateau » c’est bien trouvé finalement… (rires) Mais bon, après pour innover comparé aux autres gusses qui ont du déjà te donner mille fois cette réponse, nous, nous avons deux albums qui arrivent. Donc je pense que les deux albums absolument à garder d’Hypno5e seront ces deux-là, car ils seront sans doute les plus marquants.

Revenons sur le dernier album en date, Shores Of The Abstract Line, celui-ci est sorti il y a un peu plus d’un an. Avec le recul, en êtes-vous satisfaits ?

Emmanuel : Pour être franc, Shores Of The Abstract Line était un enregistrement tellement pénible, tellement long et tellement rempli de galères, que nous en avons presque oublié sa nature. En quelque sorte, nous avons redécouvert l’album quand nous avons réussi à le sortir, que celui-ci était intégralement mixé, masterisé etc. Forcément, avec le recul, il y a des choses qui me dérangent car la manière dont tout s’est déroulé n’était pas forcément l’idéal pour aller au bout de ce que nous voulions faire. Ne tombons pas non plus dans le pessimisme, globalement nous sommes très satisfaits de cet album, mais je ne te cache pas que sur le coup il y avait une sorte de frustration. En fait, nous avons perdu du temps sur plein de choses, et des choses parfois très connes… Ce temps perdu, nous aurions pu largement le consacrer davantage à la composition ou encore à des arrangements. Mais c’est surtout la production de ce troisième album que je changerai. Pour Shores Of The Abstract Line, nous avons voulu déléguer la production, chose que nous n’avions jamais faite jusque-là. Nous avons donc délégué la production, mais le revers du bâton est que nous n’avions pas les manettes jusqu’au dernier moment et ce fut très étrange pour nous, c’est une expérience que nous ne réitérerons pas. Tout simplement car la musique d’Hypno5e, sa composition, se prolonge au-delà de la composition, celle-ci se prolonge jusque sur le mix. En fait, au niveau du mix, il y a encore de nombreuses choses qui peuvent se créer, choses que nous n’avons pas pu faire sur Shores Of The Abstract Line.

Quelles sont les inspirations, les thèmes et les concepts de Shores Of The Abstract Line ?

Gredin : Shores Of The Abstract Line s’inscrit dans la prolongation de ce qui avait été fait sur Acid Mist Tomorrow, tout en revenant sur quelques influences que nous avions sur notre premier album, Des Deux L’Une Est L’Autre. Cet album s’est construit comme une espèce d’errance dans un espace qui se délimitait au fur et à mesure que nous composions. En quelque sorte, Shores Of The Abstract Line s’apparente à un personnage qui avance. Plus nous avancions dans la composition, plus nous nous disions qu’il fallait « cartographier » la musique et l’incarner dans un espace imaginaire que nous avions créé avec les « cinq rives ». C’est pour cela que l’album est divisé en cinq rives, un peu comme les cinq rives que suit le personnage durant l’album. Chaque rive narre une partie de ce personnage, de son passé, de ses souvenirs etc. Le thème principal est donc celui d’une errance qui mène vers un endroit que nous avons côtoyé et que nous cherchons désespérément à retrouver ou reproduire. Mais endroit que fatalement nous ne retrouverons jamais ou qui ne sera plus jamais le même. C’est donc quelque chose de très mélancolique…

Même si Shores Of The Abstract Line s’inscrit dans la continuité de votre discographie, il va quand même bien plus loin niveau innovations et explorations auditives…

Emmanuel : Avec Hypno5e, chaque album essaie d’aller plus loin que l’album précédent. En quelque sorte, le précédent album est le « terreau de base » de l’album suivant. Il y a toujours une continuité, nous ne nous séparons jamais entièrement de ce que nous avons réalisé sur l’album précédent. Nous partons donc toujours du « socle » que constitue l’album précédent pour reconstruire dessus ou pour le détruire et recréer par-dessus celui-ci. Dans Shores Of The Abstract Line, il y a plus d’expérimentations, il y a peut-être aussi un côté plus brut dans les riffs, plus Metal, plus « rentre-dedans ». Nous nous sommes également permis des libertés dans les longueurs, des passages plus éthérés que nous ne nous étions pas permis sur Acid Mist Tomorrow par exemple. Donc en ce sens, oui, il y a des terrains explorés que nous n’avions jamais abordés avant. L’idée est d’ailleurs de toujours se renouveler tout en gardant la patte du groupe.

D’ailleurs, les samples sont partie prenante de l’univers d’Hypno5e…

Gredin : Les samples viennent de nos lectures, des émissions que nous pouvons écouter à la radio etc. Parfois, il est possible de croiser des textes qui nous parlent, qui parlent à notre musique. Cela permet de « scénariser » la musique, de passer d’une impression à une autre, d’une scène à une autre. Les samples servent vraiment de jonction à nos morceaux, puisque ceux-ci font entre huit et quinze minutes…

Emmanuel : Les samples sont une manière de faire « dialoguer » notre musique. Cela permet aussi d’extraire des contenus de leur sens originel et de les faire converser entre eux, sans vraiment qu’ils aient de rapports ensemble initialement. Les samples, c’est une sorte de scénarisation de l’album, une narration de celui-ci. Je trouve que cela rajoute beaucoup à la dramaturgie d’Hypno5e. Mais chaque sample choisi ne pourrait pas être remplacé par un autre, nos compositions ne pourraient pas avoir le même effet si le sample était différent. En général, les samples interviennent avant, après ou pendant la composition. Il n’y a pas de timing prédéfini, tout se fait sur l’instant ou sur une découverte.

Dans diverses chroniques de confrères, Hypno5e est aisément défini comme « le groupe le plus créatif du moment ». Qu’avez-vous à répondre à ces accusations ?

Emmanuel : Euh… « Merci » ! (rires) Plus sérieusement, ce qui nous donne envie de composer, c’est la possibilité de proposer quelque chose qui n’a jamais été fait. La musique d’Hypno5e, c’est créer un langage nouveau qui, au début, nous est propre et que nous sommes les seuls à comprendre. Bien sûr, nous touchons à des styles et des genres, donc nous pouvons avoir des points communs avec d’autres scènes ou d’autres groupes, mais ce qui nous pousse vraiment c’est d’avoir ce langage qui nous est propre. Après, si c’est réussi ou pas, ce n’est pas à nous de le dire ! (rires)

Toute à l’heure, à la question « bateau », vous avez répondu presque en cœur « les deux suivants ». Pourrait-on en savoir un peu plus ?

Emmanuel : Il y a bien deux choses qui arrivent prochainement. Pour le premier, même si nous ne pouvons pas en dire beaucoup plus, nous venons de finir un projet qui se situe entre les deux albums Metal d’Hypno5e. Nous avons un projet acoustique, A Backward Glance On A Travel Road, qui est purement et simplement la version acoustique d’Hypno5e. Avec celui-ci, nous venons d’entrer en studio et nous venons d’enregistrer un album qui devrait sortir à la fin de l’année. Il s’agit d’une parenthèse entre Shores Of The Abstract Line et le prochain album d’Hypno5e. Nous ne pouvons pas en dire plus, mais c’est un projet très très cinématographique, il y a tout un univers et un visuel autour. Inutile de préciser que nous sommes très impatients de dévoiler cette escapade acoustique ! A côté de ce premier projet, nous avons commencé à composer la suite de Shores Of The Abstract Line. Donc le quatrième album Metal d’Hypno5e est en route et nous espérons qu’il verra le jour assez vite car nous essayons de réduire les écarts entre les albums. Mais promis, pour celui-ci, même si nous déléguerons certaines choses, nous ne réitérerons pas les expériences de Shores Of The Abstract Line. Nous ne déléguerons qu’à des personnes que nous connaissons, qui comprennent Hypno5e et qui respirent sa musique, tu as ma parole ! (rires)

Sinon, c’était comment de jouer au Download ? Ou plutôt, c’était comment de jouer au Download à 11 heures ce matin ?

Gredin : Bon, c’est la deuxième fois qu’on joue au réveil avec la tête dans le cul, on s’y habitue (rires).
Les conditions étaient surtout compliquées pour le public qui était en plein soleil. Il n’y avait pas un brun d’ombre sur tout le camping et le public est resté jusqu’au bout. D’ailleurs, j’en ai vu certains rougir petit à petit ! Je n’ai vu personne tomber dans les pommes, mais il faisait bien chaud et c’est super cool que le public soit resté jusqu’au bout. Surtout avec notre style assez particulier, c’est super que le public ait accroché à Hypno5e et son univers.

Pour rester dans l’idée live, la dernière fois qu’Hypno5e est passé dans le Nord, c’était à Douai en mars dernier…

Gredin : Oui à la Péniche ! C’était vachement cool cette scène ! J’ai oublié ma multiprise là-bas, si jamais je peux passer une annonce pour la récupérer… (rires)

Emmanuel : En effet, c’est un bon souvenir et une bonne ambiance !

Vous allez repasser nous voir bientôt ?

Gredin : Nous, on passe où c’est possible ! En tout cas, ce sera sans doute en 2018 pour promouvoir le prochain album. Nous prévoyons une tournée assez intensive, assez complète pour partager le maximum de moments avec notre public où qu’il soit.

Une dernière tradition veut que je vous laisse le mot de la fin. Mais attention, vous n’avez le droit qu’à un seul mot…

Emmanuel : « Poésie » ! « Poésie »… Les mecs ringards… (rires)

Gredin : Il y a un mot que je trouve vraiment très beau et je pense qu’il serait très opportun de finir sur celui-ci. Le mot en question c’est « moignon ». Je trouve que ça sonne très bien, « moignon ». Bon après, c’est moins beau quand on sait à quoi cela renvoie mais bon, c’est sympa quand même « moignon »…

Emmanuel : Après, comme j’ai faim, je peux proposer « Saucisson ». Ca va « Saucisson » ?

Gredin : Arrête, j’ai une amie qui a un cheveu sur la langue et qui est incapable de prononcer « Saucisson ». Du coup, elle dit toujours « Faufiffon ». « Tu veux du faufiffon ? »

Quoi qu’il en soit des difficultés de prononciation de certains et des faims des autres, Hypno5e s’est fait une joie de se livrer à Sounds Like Hell. Et moi, une joie de les écouter. Alors, comme dirait l’autre, si Hypno5e est le groupe le plus créatif du moment, Hypno5e est assurément un groupe à suivre qui deviendra une référence de la scène hexagonale et de bien au-delà. Inutile de disserter sur tout cela, c’est un fait. Qui se conforte notamment lorsque l’on voit la détermination des gusses ou que l’on explore la profondeur de leur univers artistique accompli. Bref, Hypno5e est synonyme d’hypnoses auditives, et c’est très bien comme cela !

A propos de l'auteur

Chargé des Relations Presse, manager, tourneur et baby-sitter rock'n'roll pour groupes un peu trop paumés ✠ Egalement rédacteur pour Illico! et French-Metal (chez la concurrence quoi !).

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.