Depuis quelques années maintenant, le Stade Pierre Mauroy de Lille organise au sein de son enceinte de beaux événements musicaux quand le Losc ne tente pas de conserver sa place en Ligue 1. Les Vieilles Canailles, Depeche Mode et Sting, tous sont déjà passés ! Et contre toute attente, c’est Roger Waters qui est programmé dans le cadre de sa tournée « Us + Them », une tournée ayant pour vocation de remettre au goût de jour les standards de son vieux groupe, Pink Floyd, mais pas que… Le bassiste a un nouvel album, Is This The Live We Really Want ?, à défendre. C’est le premier en quinze ans !
Alors, parfum de nostalgie oblige, les séniors se souviennent encore avec enthousiasme du dernier passage de Pink Floyd au Stadium de Lille en 1988 (sans Roger Waters cependant). C’était pour promouvoir A Momentary Lapse Of Reason ! Néanmoins, les fans de Roger Waters ont pris l’habitude de le voir se produire en solo, notamment lors de ses tournées à succès « The Dark Side Of The Moon » et « The Wall Live ». Bref, événement oblige, la rédaction d’Heretik Magazine brise le tabou. Oui, nous étions sur place pour vivre l’événement au plus près !
Par Axl Meu
Crédit photos : François Delbrayelle, François Fouquemberg
Roger Waters n’est pas un artiste comme les autres. Chez lui, chaque accord est un acte engagé. Son nouvel album, Is This the Live We Really Want ?, l’est d’ailleurs. Et le bassiste, lors de ses interventions médiatiques, sur les grandes ondes, notamment sur BFMTV, prend position concernant les problèmes d’ordre géopolitique (Trump, la Palestine, l’Écologie, la protection des animaux). Oui, se rendre à un concert de Roger Waters en 2018, c’est un peu assister à un meeting politique…
Le Grand Stade est donc aménagé comme il se doit pour accueillir le musicien. Néanmoins, contre toute attente, seul un gros quart du stade fait office de fosse. Aucune explication n’a été apportée à ce sujet. Pourtant, la partie du stade allouée pour le show n’a pas eu de mal à se remplir… Et voilà que l’écran géant projette un court métrage d’une jeune fille contemplant l’horizon, véritable clin d’oeil au titre « The Last Refugee » issu du dernier album du bassiste. Ce dernier chantant :
« And search the horizon
And you’ll find my child
Down by the shore
Digging around for a chain or a bone
Searching the sand for a relic washed up by the sea
The last refugee »
Comprenez :
« Et cherche l’horizon
Et tu trouveras mon enfant
En bas de la rive
Creuser autour d’une chaîne ou d’un os
Chercher le sable pour une relique lavée par la mer
Le dernier réfugié »
Le spectacle peut donc commencer. Et les musiciens répondent directement aux attentes des fans. Roger Waters enchaîne les grands standards de Pink Floyd, à savoir : « Breathe », « One Of These Days », « Time », « Welcome To The Machine » et « Wish You Were Here », tous illustrés par des animations audiovisuelles en lien avec les thématiques abordées par ces chansons. Exemple parmi tant d’autres, les écrans géants diffusent des images d’horloges sur « Time »… Les parties de chant autrefois assurées par David Gilmour trouvent preneur chez le talentueux Jonathan Wilson, et les animations restent très agréables à l’oeil. En bref, c’est une sorte de ciné-concert que le bassiste – qui ne prend jamais la parole – nous offre. Ceci-dit, l’ensemble reste d’excellente facture. Le septuagénaire alterne la basse et la guitare (quand il interprète quelques-unes de ses pistes solos) et laisse ses deux choristes, au carré plongeant identique, lui voler la vedette lors des vocalismes de « Time » et « The Great Gig In The Sky ». Elles n’éprouvent aucune difficulté à monter dans les aigus. Ces dernières assurent également quelques parties rythmiques et quelques chorégraphies, quand elles ne sont pas placées derrière leur microphone…
La première partie (on apprendra par la suite que le concert est bien séparé en deux parties distinctes et qu’une entracte laissera le temps aux spectateurs de se restaurer…) est donc on ne peut plus classique. Le revendications « politiques » du musicien sont évoquées par l’intermédiaire des morceaux de son album solo, « Déjà Vu », « The Last Refugee » et « Picture That », mais cela reste mesuré. Dans ces derniers sont évoquées les problématiques que rencontre notre société (liées à l’immigration, notamment). Le retour est plutôt mitigé. Le titre « Picture That » est peut-être le plus proche des standards de Pink Floyd, mais on reste encore très loin de l’accueil qui est réservé au tandem « Another Brick In The Wall (Part 2 & 3) », le moment le plus fédérateur de cette première partie. En effet, quelques mômes issus de la banlieue de Villeneuve-d’Ascq ont pu pousser la chansonnette pendant le refrain culte et jouer les stars le temps de quelques courts instants…
La première partie touche à sa fin lorsque Roger Waters lance un : « This is your kids ! », et qu’il annonce que ses troupes et lui reviennent après vingt minutes de pause, amplement méritées. Sans sortir de l’ordinaire, la première partie de ce « ciné-concert » fait des heureux… L’acoustique est excellente (des samplers viennent d’un peu partout de la salle), et le groupe dégage beaucoup, beaucoup, beaucoup d’émotions, de joie, de mélancolie, de confusion et surtout, un sentiment de révolte…
L’entr’acte n’est en fait qu’une pause « déguisée » puisque le metteur en scène et Roger Waters en profitent pour matraquer leur public (qui n’a pourtant rien demandé !) de messages politiques, annonçant ainsi la couleur pour la suite. Le musicien appelle ses fans à « résister » et dénonce toutes sortes de fascisme et de discrimination. Il vise particulièrement l’actualité terrible du Moyen-Orient (et les problèmes religieux qui en sont la cause, et disons-le clairement, le musicien appelle au boycott de l’État d’Israël), mais pas que…
Parmi ces revendications, on pouvait y lire plusieurs autres objets de dénonciation, comme le fameux « Big Brother » (en clin d’oeil à l’oeuvre de G. Orwell). La cause animale est défendue pour finir sur la projection du mot « DOGS ». Les alarmes retentissent, une mini-scène de guerre éclate dans nos oreilles – et la configuration de la salle évolue.
L’usine qui avait servi pour l’artwork d’Animals (La fameuse Battersea Power Station) est reproduite façon « 3D » devant nos yeux, et aucun détail n’est laissé de côté ! Le petit « mammifère », lui aussi, prend de la hauteur… Et au tonitruant « Dogs » succède « Pigs (Three Different Ones) », peut-être le moment le plus fort de concert – où tous les politiques (surtout le président des États-Unis) – en prennent pour leur grade. La façade de l’usine diffuse des images engagées, où tous les politiques sont indirectement comparés à des « porcs ». Derrière les grands écrans, Roger Waters et sa bande jouent les acteurs. Le visage occulté par des masques de cochon, ça singe les gros de ce monde pendant qu’un gigantesque cochon guidé par des drones plane au dessus de nos têtes. Le mimétisme est absolu, quasi-dérangeant – et le message est d’autant plus clair lorsque Roger Waters met un terme à son procès en diffusant un gigantesque : « Trump Is A Pig ». La métaphore filée est prolongée lors de l’interprétation de l’interplanétaire « Money » (quel solo de saxo !) où défilaient des images d’hommes politiques (La famille Le Pen, notamment) sous l’opulence.
L’interprétation de cette partie de l’album Animals a été épaulée par celle de Dark Side Of The Moon, interprété dans sa quasi-intégralité ce soir, avec entre autres « Money », « Us And Them » , « Brain Damage » pour ensuite déboucher sur le grandiose « Eclipse ». Lui et ses lasers reproduisent dans la salle le prisme le plus emblématique des musiques populaires ! Alors, certes, chacune de ses pistes ont subi une relecture des plus conséquentes pour être en phase avec la tournure toujours plus politique que prend le concert au fil des mesures, mais la musicalité et la claque visuelle est au rendez-vous.
Après un discours politique (au cours duquel le musicien a tenté d’avoir le silence le plus total), précédé d’une courte présentation de ses musiciens de talent, Roger Waters nous assène d’un dernier titre, « Comfortably Numb », transpirant l’émotion à des kilomètres, chantée en choeur par un public qui a du mal à dire : « au revoir » à un musicien pour qui les prestations chez nous restent très rares. Dernière grosse image, le père prend son fils dans ses bras, et – toujours plus symbolique – les dernières images projetées appellent à la réconciliation, à la tolérance et à l’acceptation. Les deux poignes se serrent et la boucle est bouclée.
Une vraie leçon de vie ! Le Britannique nous a offert un concert à l’image de sa carrière : grandiose. Et bien que la tournure politique prise ait pu déplaire, Roger Waters à Lille, ce fut LE concert auquel il fallait assister, un show où jamais le professionnalisme n’a côtoyé le superficiel.
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