Enjoy The Violence ! À l’aube de la réédition de l’ouvrage culte sur la scène Death/Thrash française des années 90’s, trop souvent marginalisée, les auteurs Sam Guillerand (journaliste pigiste) et Jérémie Grima (auteur de SUP/Supuration, Trace Écrite, Metal Bunker et éditeur chez Zone 52 Editions…) ont décidé de lui rendre justice en publiant cet ouvrage au parfum de violence, dont la première édition a été victime de son succès… Retour sur la « success-story » avec les auteurs « themselves ».
Propos recueillis par Axl Meu.
Jérémie, dans Metal Bunker, tu avais déjà interviewé des acteurs de la scène Metal hexagonale… Peut-on dire que Enjoy The Violence en est la suite logique ?
Jérémie : Oui et non. Le deux livres sont liés par le fait qu’ils traitent de musique, qu’ils aient trait au Metal et qu’ils soient réalisés sous forme d’interviews. Mais l’un est une anthologie de disques et l’autre, un livre d’Histoire de la musique. Ils ne jouent donc pas sur le même tableau ! Ceci étant, il est vrai que le passage de Metal Bunker à Enjoy the Violence s’est fait dans une continuité de style d’écriture et d’ambiance. On peut même dire qu’avec Trace Ecrite, mon livre sur SUP/Supuration, on a à faire à une sorte de « trilogie du Metal avec gros coup d’œil dans le rétroviseur ». C’est du moins comme cela que je le perçois.
Vous refaites l’Histoire de la scène Death/Thrash française sur Enjoy The Violence. Néanmoins, l’Histoire contient ses failles. Pensez-vous être parvenus à synthétiser le mieux possible cette génération ? Vous vous êtes aidés de flyers…
Sam : On a essayé de coller au plus près à l’esprit de l’époque en convoquant une grosse partie des groupes qui ont animé et structuré cette scène, mais aussi les éditeurs de fanzines, les journalistes de l’époque, les boss de labels, les illustrateurs et quelques autres activistes. Le principe de l’histoire orale était selon nous le meilleur moyen de relater l’explosion de ces styles et de cette époque. Je pense que le livre est très fidèle à son sujet… c’est en tout cas ce qui est ressorti des critiques de ceux qui l’ont acheté, et surtout de ceux qui y étaient.
Jérémie : On s’est efforcés de rester les plus objectifs possibles en nous effaçant derrière les intervenants que nous avons interviewés. Nous avons fait des choix éditoriaux drastiques, comme celui de ne pas chercher à être exhaustifs concernant le nombre de groupes à représenter dans le livre. Et oui, nous avons en tout cas essayé de synthétiser au mieux l’esprit de l’époque, c’était même le but premier de ce livre. Quant aux flyers et à l’iconographie, cela a été en effet un gros travail de mettre la main sur toute la matière qu’on trouve dans le livre. Nous y avons été aidés par une foule de gens que nous saluons !
Quel public visez-vous avec cet ouvrage ? Visez-vous seulement les gens qui ont connu ces fameuses époques, ou la nouvelle génération ?
Sam : Les deux. La vieille école qui a contribué à ce que le Metal français soit ce qu’il est aujourd’hui, en essuyant les plâtres… et bien sûr la jeune génération, qui n’a pas du tout le même rapport à tout ça… et surtout, pas les mêmes outils.
Jérémie : Evidemment, notre lectorat se constitue pour l’instant à 75% de gens qui ont connu cette époque et souhaitent la revivre par l’intermédiaire de notre livre. Mais nous avons aussi un public de passionnés de Metal qui désirent en savoir plus sur les origines de la musique qu’ils aiment. C’est d’ailleurs une grande satisfaction pour nous de rencontrer parfois des jeunes d’une vingtaine d’années qui n’ont pas connu le mouvement Death/Thrash mais qui découvrent grâce à Enjoy The Violence la scène des origines et les groupes qui la composent.
Nous vivons aujourd’hui dans l’ère du numérique. Pensez-vous que le fanzine a encore son mot à dire ?
Sam : Oui, un fanzine est très différent d’un magazine, d’un site, voire même d’un blog. C’est beaucoup plus personnel. C’est effectivement un peu lié au passé, mais ça reste selon moi le medium le plus adapté à la scène Underground, peu importe le style. Il y a des dizaines de façons différentes d’écrire, d’éditer et de distribuer un fanzine… reste à savoir dans quel but il est réellement fait. Pour ma part, j’ai un gros passif avec ce format, je continue même d’en éditer alors que je travaille pour quelques magazines pros en parallèle… mais les deux supports n’ont rien à voir, pas le même ton, pas le même but, et au final, pas forcément les mêmes lecteurs.
Jérémie : Pourquoi n’aurait-il pas encore son mot à dire ? Comme le dit Sam, ce format a des spécificités qui lui sont propres (écriture gravée dans le marbre contrairement au net où on peut réécrire l’histoire à tout moment en changeant le contenu d’un article, matière et contact physique, complexité de fabrication -même si cela a considérablement évolué depuis 20 ans-, vente ou échange entre personnes en chair et en os lors d’événements, etc.). Pour moi, ces deux formats d’expression que sont le numérique et le papier sont complémentaires. L’un n’a pas remplacé l’autre. Le fanzine permet des choses que le net ne permet pas et vice-versa. Et selon moi, tous deux ont encore une longue vie devant eux.
Pensez-vous qu’il y aura un » Enjoy The Violence #2 » ?
Sam : Non. On pense clairement avoir fait le tour de la question, en tout cas sur la première vague des styles en question dans ce pays. On a passé quatre années à travailler dessus, il est temps pour nous de se concentrer sur d’autres projets d’écriture.
Jérémie : Je confirme. Pour ma part, après trois livres sur l’Histoire du Metal, j’ai envie de tout sauf de me lancer dans un quatrième ouvrage dans le genre. Je vais plutôt changer d’univers et explorer le roman pendant les années à venir, chose qui me trotte dans la tête depuis pas mal de temps. Enjoy The Violence marque pour moi de très belle manière la fin d’une période concernant l’écriture.
Dans Enjoy The Violence, les groupes évoquent les difficultés qu’ils rencontraient pour se produire, pour se faire connaître. Aujourd’hui, on n’a plus besoin d’échanger ses cassettes, et pourtant, il n’a jamais été aussi difficile de se faire connaître…
Sam : Tout le monde semble d’accord sur ce fait… Il y a trop de groupes, trop de disques, trop de concerts, trop de moyens pour découvrir des groupes, trop de « revivals », trop de gimmicks… On ne sait plus où donner de la tête… ça désacralise un peu l’immersion totale dans le genre…
Jérémie : Et en même temps, on n’a jamais eu autant de moyens pour diffuser sa musique. Nous vivons une époque totalement paradoxale. Pour ma part, je me sens parfois dépassé par cela, mais c’est le propre des quarantenaires que de comprendre un peu moins chaque jour le monde qui les entoure, non ? En fin de compte, cela veut dire que ce monde évolue et je ne trouve pas cette logique si horrible que ça. Ce qui me soucie plus est que le Metal est encore une musique pour les gens de ma génération et que le jeune public qui l’écoute n’a pas de grosses nouveautés à se mettre sous la dent. Que sont devenus la révolte et la réaction propres au Metal ? Depuis le Neo Metal, le style stagne et à part des mélanges improbables de sous-genres, qui donnent de très bonnes choses parfois – ce n’est pas le problème – on n’a plus aucun mouvement qui remette le genre en question. Entre les années 80 et 2000, le Speed a poussé le bouchon plus loin que le Heavy Metal traditionnel, puis le Thrash a envoyé tout ça valdinguer, puis le Death a rebattu les cartes de la violence, pour être mis au placard par le Black, et enfin le Neo a fait chier tout ce monde en proposant aux gamins un nouveau genre de Metal qui les a fédérés. Jusqu’alors, le Metal était synonyme de remise en question et se cherchait lui-même tout en se réinventant à chaque fois. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, même si, encore, il existe de jeunes groupes fabuleux. Mais cette stagnation m’embête plus que le foisonnement.
« Il y a eu une conjonction d’éléments qui ont fait que les groupes du Nord ont joui d’une grande visibilité. Déjà, la proximité de la frontière belge a permis à beaucoup de jeunes du coin de se rendre à des concerts facilement. »
Heretik Magazine est un média qui met essentiellement en avant la scène locale des Hauts-de-France. Vous évoquez pas mal de noms de notre scène dans ce livre, à commencer par Loudblast et Supuration… Et il y a également le « cas » Agressor… mais aussi Forlorn Emotion, Putrid Offal, Nocturnal Fears et Scrotum… Quel rôle les Hauts-de-France ont-ils eu par rapport à la scène française ?
Jérémie : Le Nord a été un vivier de groupes assez important dans les années 80/90 et on peut facilement dire que Loudblast a été la formation de Death/Thrash la plus influente pendant une grosse dizaine d’années. Lorsque les Louds ont accroché un bon manager et un bon label, et que leur énorme travail de terrain a commencé à payer en les voyant être propulsés sur le devant de la scène, nombre de groupes de leur région ont spontanément eu les projecteurs braqués sur eux. Je ne suis pas sûr que Forlorn Emotion, Putrid Offal et même Supuration auraient eu la même aura s’ils avaient été originaires de la Creuse. De ma région parisienne, le Nord était vu comme la Floride de France. Et cela est dû au fait que Loudblast est le groupe qui a mieux su tirer son épingle du jeu et qu’il a entraîné tout son réseau derrière lui.
En quoi cette région fut-elle avantagée à votre avis ?
Il y a eu une conjonction d’éléments qui ont fait que les groupes du Nord ont joui d’une grande visibilité. Déjà, la proximité de la frontière belge a permis à beaucoup de jeunes du coin de se rendre à des concerts facilement. La France était pauvre dans le domaine, alors que chez les Belges, tous les groupes jouaient très fréquemment. Cela a suscité beaucoup de vocations et motivé pas mal de gamins à monter leur propre groupe, c’est indéniable. Ensuite, le réseau a été très soudé et relativement structuré assez rapidement. Entre les Louds, les autres groupes, le magasin Underground tenu par Arno Geenens qui s’occupait en plus d’organiser des concerts, une grosse poignées de jeunes ont uni leurs forces et leurs moyens pour monter une scène underground digne de ce nom. Ensuite, encore une fois, le succès de Loudblast a permis à cette scène de sortir du lot et de faire parler d’elle plus que les autres.
Que penses-tu de l’actualité de ces groupes ? Notamment SUP, Putrid Offal…
J’attends très impatiemment le prochain SUP. Si l’on excepte les deux Supuration sortis depuis 2013, le dernier SUP date de 2008 ! C’est bien trop long, surtout que les Loez me parlaient déjà de ce disque lorsque j’écrivais Trace Écrite il y a six ans ! Mais que font-ils, bon sang ?! J’ai acheté le premier album de la reformation de Putrid Offal : c’est un bon album. J’attends la suite. Je n’ai pas écouté leur EP sorti depuis… Sinon, j’ai souvent revu Loudblast en concert, et j’ai encore passé de bons moments, même si la formule commence selon moi à s’essouffler. Je n’ai que moyennement accroché à leur disque orienté Black Metal, Burial Ground, je parle d’esprit Black, hein, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ! En fait, je rêve que Stéphane Buriez retravaille avec Nicolas Leclercq. Les albums qu’ils ont faits ensemble sont géniaux et je pense qu’il existait une alchimie entre eux qu’on n’a pas retrouvée forcément après le départ du guitariste. Dans les groupes du Nord, je ne peux pas ne pas parler également de Dylath Leen, qui est le groupe le plus sous-estimé de la région. Oui, ils ne sont pas issus de la scène Thrash/Death mais pour les avoir vus plusieurs fois sur scène et adoré leurs albums, ils font pour moi parmi des meilleurs groupes du genre en France. D’ailleurs, s’ils me lisent, j’ai un message pour eux : « Au boulot ! On attend la suite de Cabale ! ».
Pour plus d’infos : http://enjoytheviolence.fr
Laisser un commentaire