Aucun des albums d’Arkan n’est anecdotique ! En effet, tous le fruit d’une réflexion intense, ils nous amènent à porter un regard nouveau sur une culture et Histoire riches, et le dernier en date, Lila H, ne fait pas exception à la règle. À l’occasion de sa sortie, nous nous sommes entretenus avec Manuel Munoz, son chanteur.
Propos de Manuel Munoz (chant) recueillis par Axl Meu
J’ai cru comprendre que LilaH, votre nouvel album, était très important pour ses membres du fait de sa portée autobiographique. Est-ce que tu peux revenir sur sa conception et son concept ?
Bien sûr. À la suite de l’album Kelem, il nous a fallu faire une pause et nous demander quelle serait la marche à suivre pour la suite. Et Florent (Jannier, chant, guitare) est venu avec cette idée d’écrire sur les tranches vie de Samir (Remila, basse) et de Mus (El Kamal, guitare)… Tous les deux nous ont fait part de leur jeunesse et nous ont parlé des attentats qu’ils ont vécus en direct à Alger dans les années 90. Ça faisait vraiment froid dans le dos ! D’où l’idée de mettre tout ça en musique afin de raconter la « vraie » Histoire de l’Algérie à cette période. Du coup, en amont, nous avons passé des heures et des heures à mettre leur Histoire en mots, tout en essayant de comprendre comment ce climat de guerre s’était mis en place. Pour ce faire, on a donc noté toutes leurs petites histoires du quotidien et leur avons demandé ce que ça faisait de vivre dans un pays en guerre. Une fois cela mis en place, après avoir amassé tout ce matériel, il nous a fallu entreprendre la composition de l’album, intégralement composé par Mus…
Il y a donc bien une portée autobiographique dans l’album. Mais toi qui n’as pas vécu tout cela, ce n’était pas trop difficile de faire preuve d’authenticité et de respecter l’Histoire de l’Algérie ?
En fait, c’est vraiment l’écriture des paroles qui m’a vraiment donné du fil à retordre, car il ne fallait surtout pas trahir le vécu des Algériens. Il fallait également qu’un Américain, un Français, – en bref, quelqu’un qui n’a pas connu ces événements – puisse comprendre ce qui se passait en ce temps là. Mais aussi, comme tu dis, ne pas trahir les Algériens qui ont vécu ça dans leur chair…
Donc, pour arriver à nos fins, il y a vraiment eu un aller/retour entre Samir, Mus et moi… Et en ce qui me concerne, j’ai essayé d’y faire transparaître le plus d’émotions possibles. Aussi, avec Florent, nous avons travaillé en amont de sorte à respecter au mieux le récit de l’adolescence de Samir, notamment sur « Black Decade ». À l’époque, il était en conflit avec ses parents, car ils ne voulaient pas qu’il sorte voir ses amis à cause du conflit. L’idée était alors d’échanger les points de vue, en prenant la place des parents de celle de Samir, en incarnant à la fois un jeune quête en quête de Liberté et la douceur des parents. Personnellement, en tant que père de deux adolescents, je n’ai pas eu trop de mal à me projeter dans cette histoire.
Du coup, Lila H, ça veut dire quoi ?
« Lila H », c’est un mot qui a plusieurs sens. Lila sans le « H », c’est un prénom féminin arabe, ça veut dire « la nuit ». Lila avec le « H », là, ça signifie « au nom de Dieu ». Bien sûr, tout cela est en lien avec la nuit qui est tombée sur l’Algérie pendant dix ans.

« S’il y a bien une valeur qui caractérise Arkan aujourd’hui, c’est celle de la tolérance »
LilaH est le deuxième album que tu sors avec le groupe. Tu apportes désormais ta touche, ta propre expérience… En quoi ta contribution est-elle différente par rapport à Kelem ?
Moi, personnellement, je trouve LilaH bien plus violent. Peut-être que la production de Fredrik Nordström y est pour quelque chose… On a eu la chance de partir en Suède pour travailler avec l’un des plus grands producteurs de la scène Metal extrême… Et sincèrement, je pense que ça a forcément joué sur l’épaisseur du son, sur sa couleur. En tout cas, il est clair que cet album a plus de vécu que les autres, et ça, ça change énormément de choses ! Je ne dis pas que les sujets de Kelem étaient plus légers – ce dernier évoquait le Printemps arabe et de ses conséquences – mais ici, pour ce nouvel album, la thématique était marquée dans la chair de ses protagonistes.
Concernant Mus El Kamal, comment a-t-il composé les parties de guitare ? Comment les a-t-il agencés avec les instruments « orientaux » ?
Mus compose d’abord tous les riffs. Ce n’est que par la suite que l’ensemble est retravaillé en sessions. Par exemple, il m’est déjà arrivé de passer quelques journées avec Mus à travailler sur ses idées. En fait, Mus est une espèce de volcan de créativité en perpétuelle éruption. Il est capable de te sortir un riff de guitare toutes les cinq minutes ! Et le plus difficile pour lui, c’est d’en garder un. Donc, il a besoin du groupe pour faire le tri, pour trouver une cohérence d’ensemble. Mais, c’est lui qui fait tout, même les programmes de batterie. Une fois que le travail est mis en commun, c’est à chacun des membres de s’approprier l’ensemble…
Aujourd’hui, Arkan est indépendant. Ce qui n’a pas toujours été le cas. Votre ancien label, Overpowered Records, n’existe plus… Comment avez-vous géré cette crise ?
Je ne m’occupe pas de tout cela. Cependant, je peux te dire que le groupe a fait le choix de monter sa propre structure, de gérer tout, soi-même. Car signer sur un label ne te garantit pas toujours de travailler dans de bonnes conditions. Parfois, on est trop soumis par les aléas d’un intermédiaire. Désormais, en achetant notre album, nos fans nous aident directement. Et ça, c’est super important, surtout qu’il est vraiment difficile d’avancer vu le contexte actuel.
Arkan fait partie de ces groupes qui portent en eux non seulement une couleur locale, mais aussi un message de tolérance…
Oui, je te le confirme. Les membres d’Arkan ont tous des origines différentes, certains de nos membres viennent directement du Maghreb. Après, ça reste de vrais fans de musique extrême, mais oui, s’il y a bien une valeur qui caractérise Arkan aujourd’hui, c’est celle de la tolérance.
Arkan a son propre public en Algérie. Comment la scène se porte-t-elle là-bas ?
Je ne suis pas forcément le mieux placer pour t’en parler. Mais je tiens à dire que les Européens émettent beaucoup de préjugés sur cette scène. Par exemple, beaucoup d’Européens croyaient qu’il était interdit de jouer du Metal là-bas, alors que non… Après, il est clair que ce n’est pas évident de se produire dans des conditions décentes là-bas. Aussi, il n’est pas évident de s’équiper sur place…
Vous sortez un album au pire moment. Pourtant, ce n’est pas comme si sa sortie avait été repoussée… Comment vivez-vous cette situation ?
Que dire si ce n’est que nous sommes vraiment frustrés ? Surtout que l’incertitude règne vraiment en ce moment. On ne sait vraiment pas quand nous pourrons nous produire, à moyen ou à court terme. Après, nous sommes conscients que ne sommes pas les seuls dans cette situation… Quand on voit les formations pro’ qui doivent se mettre en »stand-by », comme Anathema, c’est vraiment très préoccupant. Ça fait vraiment peur, oui. Aussi, quand on voit que certaines certaines salles disent de fermer boutique. On ne peut rien organiser, et clairement, c’est tout un pan de l’économie mondiale qui est sur le point de vaciller…
Arkan, c’est :
Samir Remila : Basse
Foued Moukid : Batterie, Percussion, Bendir, Darbuka
Mus El Kamal : Guitare
Florent Jannier : Chant, guitare
Manuel Munoz : Chant, guitare
Discographie :
Hilal (2008)
Salam (2011)
Sofia (2014)
Kelem (2016)
Lila H (2020)
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