Amenra tient une place importante dans l’histoire de la rédaction d’Heretik Magazine. Non seulement parce que nous lui avions offert la « une » de notre magazine en septembre 2017 dans le cadre du lancement de notre premier numéro, mais aussi parce que c’est aussi l’une des formations belges que nous avons le plus passée en revue ces dernières années (passages à Lille, Denain, Courtrai, Clisson…). Et ça tombe bien, l’emblématique fer de lance de la Church Of Ra sera de retour à Courtrai cet été, à l’Alcatraz Festival, où elle interprétera sans doute quelques extraits de son nouvel album, De Doorn, que nous avons découvert en compagnie de Colin H. Van Eeckhout.
Propos de Colin H. Van Eeckhout (chant) recueillis par Thomas Deffrasnes
Comment t’y prendrais-tu pour présenter De Doorn ?
De Doorn (« l’épine » en français, NDLR) a été abordé sous un angle très différent par rapport à ce que nous avons pu faire jusqu’à présent. Nous avons écrit cet album, sans même réaliser que nous l’écrivions. La musique s’est tout simplement présentée à nous. Avant de commencer l’interview, tu m’expliquais que cet album t’avait transporté dans une cathédrale. Et c’est intéressant, car c’est la première fois que je m’adresse à l’auditeur, et non pas à moi-même. Sur De Doorn, je ne combats pas mes traumatismes… À la place, je parle comme un sage qui tenterait d’amener les autres vers la sagesse. Cependant, il s’en dégage aussi une atmosphère à la fois lourde et sereine qui nous malmène : « Ce lieu de culte nous veut-il vraiment du bien ? »
Effectivement, la série « Mass » était plutôt d’ordre introspectif, très personnelle. Comment comprendre De Doorn et la symbolique véhiculée par l’épine ?
Nous voulions inviter ceux qui nous écoutent à réfléchir aussi sur eux-mêmes. La relation entre Amenra et ses auditeurs prend donc une nouvelle tournure. Les gens ne sont plus témoins de notre musique, mais ils en deviennent les acteurs. L’épine porte en elle une symbolique très lourde, car elle incarne une force comparable à celle de l’être humain. La nature fournit des armes : une rose peut protéger sa beauté grâce à ses épines. À l’instar des roses, les hommes font pousser leurs propres épines pour se protéger du monde extérieur. Mais, comme toute plante, chaque être humain a sa propre particularité, ses différences, et donc ses propres épines. C’est pourquoi j’ai créé plusieurs branches porteuses d’épines pour chacun des musiciens du groupe que j’ai disposées ensemble afin de créer l’artwork de l’album.
De Doorn est aussi le premier album sur lequel tu chantes entièrement en flamand…
Nous comptions présenter cette musique dans le cadre d’un rituel qui devait se tenir en Belgique. Je savais que 90% du public serait Flamand. Étant donné que je souhaitais avoir une approche directe, j’ai choisi d’écrire exclusivement dans ma langue natale. C’est aussi le premier album que nos mères seront à même de comprendre, car elles ne parlent pas l’anglais, ni le français. Puis, c’est un bel hommage que nous rendons là à notre patrimoine, à notre culture. Nous sommes désormais chez un label très important, ce qui permet de la faire rayonner un peu partout dans le monde.
Écouter Amenra est une expérience à part entière. Comment parvenez-vous à faire naître toute cette énergie en studio alors qu’il n’y a ni la foule, ni l’atmosphère qui s’y prêtent ?
Nous avons enregistré l’album par nous-mêmes. De plus, comme nous n’avions pas l’impression d’écrire un album, nous n’avions pas le sentiment de l’enregistrer non plus. C’était très agréable de travailler ainsi et de ne pas avoir à expliquer ce que nous attendions de cette musique à quelqu’un extérieur au groupe. Nous savions tous quel était le propos et la direction que nous devions prendre. Ce atmosphère intime a été bénéfique et nous a permis de nous isoler dans notre thème.

« À l’instar des roses, les hommes font pousser leurs propres épines pour se protéger du monde extérieur ».
J’ai énorément apprécié le travail qui a été fourni sur le travail des atmosphères. Elles prennent le temps de se développer et d’introduire chaque titre. Étais-ce ce qui manquait à Amenra ?
« Manquer », non. Nous avons tout simplement tenté d’explorer de nouvelles matières. Sans grande prétention. On a pensé qu’il serait intéressant de créer une sorte de cocon autour des titres de sorte à mieux les affirmer et à donner à l’auditeur toutes leurs clefs de compréhension. C’était nouveau pour nous. Et nous sommes vraiment fiers du résultat.
Comment pensez-vous mettre cet album en avant sur scène ?
Nous n’aimons pas penser à la scène. Ce n’est pas un processus théorique. Ces nouvelles chansons seront plus délicates à jouer en live. On ignore comment le public va les recevoir, et il nous faut aussi prendre le temps de les intégrer à notre set. Aujourd’hui, nous sommes capables de jouer des titres sans trop y penser, c’est automatique. Mais nous devons nous accoutumer à l’intensité et les vibrations que procurent ces nouveaux titres. La scène n’est pas un processus figé, c’est une performance qui s’affirme au fil des représentations.
Comment abordes-tu la scène ? Comme un lieu où tu te purges ou bien un lieu où tu te tortures ?
Un peu des deux. Je n’aime pas me produire sur scène, mais j’aime quand le concert est terminé. Je suis toujours plein d’incertitudes et de peurs lorsque je monte sur les planches. Ce n’est pas un lieu ou un moment agréable à vivre. J’y ressens beaucoup de pression ! Physiquement, c’est très violent. Mais une fois que la prestation touche à sa fin, nous constatons que la mission est remplie et que le public est ravi. Ce sentiment est bien plus réconfortant en sortant de scène.
Et qu’éprouves-tu lorsque tu te produis dans une configuration acoustique ?
C’est la même histoire, sauf qu’elle est contée avec une plume différente. Mais cette configuration peut s’avérer plus exigeante. On ne peut pas se cacher, le son peut être trop « honnête » et dévoiler nos failles. C’est donc un challenge. Je pense qu’un concert acoustique complète le propos d’Amenra. Ce n’est pas dissociable d’un concert plus traditionnel. C’est une façon nouvelle de nous exprimer.
Dans quel lieu l’art d’Amenra prendrait tout son sens ?
Il y a probablement beaucoup d’endroit où notre musique prendrait tout son sens, mais cela dépendrait du moment. On se produit dans plein d’endroits différents, et c’est très enrichissant. Parfois, on passe devant un monument, et je me dis que j’aimerais bien m’y produire… À côté, j’aimerais beaucoup me produire dans un champ de blé sous la pluie. Mais bon, je ne pense pas que ça fonctionnerait (rires). Nous avons été programmés à l’église Saint Gery à Paris. C’était merveilleux, et l’atmosphère embrasse la musique de façon singulière. C’est à vivre ! Ce qu’on y ressent, comment nous percevons la musique est vraiment incroyable.
Amenra, c’est :
Mathieu J. Vandekerckhove : Guitares
Colin H. Van Eeckhout : Chant
Bjorn J. Lebon : Batterie
Lennart Bossu : Guitares
Tim De Gieter : Basse
Caro Tanghe : Chant
Discographie :
Mass III (2005)
Mass IIII (2008)
Mass V (2012)
Mass VI (2017)
De Doorn (2021)
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