Un pied de nez à Charles Trenet ou un hommage ; le dernier né de Pensées Nocturnes, Douce Fange, c’est le terroir. La France de nos grands-parents, plongée la chaleur du soleil du Midi, l’accordéon dans le transistor, au bord de la route du tour de France. Mais aussi planté dans la crasse des vieilles ruelles parisiennes, la sueur des bordels plein à craquer, le sang séché sur les guillotines. Léon Harcore (Vaerohn) nous explique cette curieuse œuvre. 

Propos de Léon Harcore (alias Vaerohn) (tous les instruments) recueillis par Par Thomas Deffrasnes


Doit-on considérer Douce Fange comme un pied de nez à Charles Trenet ou bien comme un hommage ?

Douce Fange, c’est l’illustration même de ce nouvel opus : un pied dans le terroir, dans la France de nos grands-parents, plongée la chaleur du soleil du midi, l’accordéon dans le transistor, au bord de la route du tour de France. L’autre pied planté dans la crasse des vieilles ruelles parisiennes, la sueur des bordels plein à craquer, le sang séché sur les guillotines. C’est à l’image de ce que Pensées Nocturnes a toujours travaillé : l’inattendu à partir de l’ancien, le rire dans le plus profond des abattements possibles, la coupe de champagne au bord du gouffre.

Tu nous emmènes encore dans un spectacle délirant avec une justesse étonnante. La dimension circassienne est toujours sous-jacente. Mais dans quel univers nous émerges-tu cette fois ?

En effet, même si le spectre d’une fête foraine infernale pèse toujours sur l’ambiance générale de l’album, Douce Fange développe la traversée d’une vieille France aux Halles insalubres, aux ruelles coupe-gorge, aux bobinards malfamés et aux bistrots dépravés. On chemine entre exécutions sur place publique, chants révolutionnaires, bals musettes enjoués, dégustations de mets culinaires rustiques et chansons paillardes alcoolisées. Douce Fange démontre une nouvelle fois la capacité de Pensées Nocturnes à mêler thèmes divers et ambiances disparates pour obtenir une bonne bouillasse noire aromatisée au Dark Jazz, au cabaret et à la musette.

L’album est jonché de passages progressifs et blues au même titre que sur Grand Guignol Orchestra, qui est devenu l’album de référence de Pensées Nocturnes. A-t-il été un tournant dans ta musique ?

Je ne pense pas à une véritable rupture dans la musique de Pensées Nocturnes, mais plutôt à une évolution progressive, conservant les éléments fonctionnant à merveille, les bases, pour y ajouter des ramifications nouvelles : à l’image d’un ragoût que l’on complète de jour en jour avec de nouveaux ingrédients et qui se bonifie à mesure qu’on le remet sur le feu quotidiennement. Les ruptures sont donc à mon sens plus visuelles qu’auditives même si évidemment beaucoup de références se glissent dans la musique et les textes pour s’y raccrocher. Me concernant je ne parlerais donc pas vraiment de tournant dans la composition, où la manière de penser le groupe. On ne peux pas en dire autant de l’accueil du public et des auditeurs qui lui à par contre profondément évolué depuis cette sortie.

Si je ne m’abuse, tu te proposes même d’explorer un peu de Jazz sur « Charmant Charnier » ?

Le Jazz a toujours été plus ou moins présent dans tous les albums de Pensées Nocturnes. Cela étant, il est vrai que nous lui avons concédé une place prépondérante depuis À boire et À Manger avec l’usage de cuivres de plus en plus récurrent. Que cela soit durant les enregistrements ou en live, l’improvisation tient une place conséquente et cela se ressent sur le rendu global. Nous avons notamment pour habitude de faire participer des « guests » durant des performances live lorsque l’occasion se présente, notamment avec Five the Hierophant par exemple. Ainsi même si l’usage du terme “Jazz” est sûrement abusif, la philosophie de liberté qu’il incarne est elle clairement embrassée.

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« Douce Fange développe la traversée d’une vieille France aux Halles insalubres, aux ruelles coupe-gorge, aux bobinards malfamés et aux bistrots dépravés »

Pour composer du Pensées Nocturnes, il faut avoir l’oreille attentive et avoir l’esprit ouvert. Quels sont les artistes qui ont influencé ce projet ?

Il n’y a pas vraiment de règles ou d’affinités particulières. En termes d’écoutes tout y passe : Classique, Black Metal dans toutes ses formes, Death, musique traditionnelle, Jazz, Post-Rock, Hardcore, Rap… Néanmoins il n’y a pas de surprise à évoquer le fait que Douce Fange fait résonner nombre de références à la musette et à la variété française plus ou moins récente. L’idée n’est pas de dévoiler ici les noms que les auditeurs auront la lourde de tâche de retrouver en fouillant dans leur mémoire.

Comment s’est déroulé l’enregistrement cette fois-ci ? La production a encore gagné en attaque !

Chaque album est en effet un véritable pas en avant en termes de composition, de graphisme mais également de maîtrise de la production comme tu le soulignes. Je souhaitais obtenir un album aussi clair que Grand Guignol Orchestra mais avec plus de mordant et de poils, et je dois admettre que le résultat est bien au-dessus de mes attentes. Comme pour tous les albums de Pensées Nocturnes, la composition et l’enregistrement ont été réalisés de façon concomitante au Studio de la Pipe. Le réamp, le mixage et le mastering furent produits, similairement à Grand Guignol Orchestra, au studio Henosis où Fred s’est arraché les cheveux qu’il n’a plus pour donner vie à ce monstre de détails sans précédent. Qualifier le résultat de digne est un euphémisme tant il met en exergue comme il se doit la complexité de la composition.

L’artwork est d’une noirceur et violence singulière. Comment a-t-il été créé et que nous dit-il ?

A mon sens la noirceur que tu évoques provient de la concomitance d’éléments aussi banals que des pubs pour shampoing miracle avec des idées ou des concepts beaucoup plus subversifs, que cela soit envers la culture française ou le Black Metal en lui-même. La totalité de l’artwork a été réalisée par Cäme Roy de Rat qui depuis quatre albums fait tout simplement partie intégrante du développement de chaque opus. Nous nous connaissons par cœur : nos méthodes de travail sont rodées et le rendu final est tout simplement à tomber par terre. A la lecture du « layout » nous sommes plongés dans une vieille revue du début du siècle dernier, inondés de réclames mensongères et autres charlataneries grotesques illustrant les paroles à merveille. C’est beau pour tous, intelligent pour qui est suffisamment armé pour le comprendre et offusquant pour les frêles.

Un spectacle de marionnettes désarticulées : c’est cette impression qui se dégage d’un live de Pensées Nocturnes. C’est captivant de bout en bout ! Le live sera-t-il au rendez-vous l’année prochaine ? Si oui, que nous vous réservez-vous ?

On cherche en effet à accumuler les piqûres de rappel au max pour passer entre les gouttes du Covid, dans l’idée d’accompagner la sortie de Douce Fange par une petite tournée au printemps et des festivals intéressants cet été. On bosse pas mal les nouveaux morceaux ainsi que le visuel général, tout deux se devant évidemment de suivre l’évolution musicale et graphique du groupe. Nous sommes impatients de refouler les planches, que nous avons quittées depuis plus de deux ans maintenant !


Pensées Nocturnes, c’est :

Léon Harcore : Tous les instruments / Chant

Musiciens « live » :

Gégé : Accordéon / Clavier / Chant

Le Grand : Basse

Jacky : Batterie

Roro : Guitare

Zakouille : Guitare

Discographie :

Vacuum (2009)

Grotesque (2010)

Ceci est de la musique (2011)

Nom d’une pipe! (2013)

À boire et à manger (2016)

Grand Guignol Orchestra (2019)

Douce Fange (2022)

A propos de l'auteur

Rédacteur en chef d'Heretik Magazine

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