Doit-on encore présenter Voivod ? Fers de lance du Metal experimental depuis 1983, les Canadiens n’ont cessé de surprendre en sortant des opus originaux, parfois déconnectés de la réalité, témoignant d’une vision complexe des musiques extrêmes. Et pourtant, quand on s’entretient avec eux, c’est leur simplicité qui ressort ! À quelques semaines de la nouvelle cuvée du groupe, « Synchro Anarchy », nous nous sommes entretenus avec Michel Langevin, alias Away, le batteur particulièrement avenant du groupe !
Propos de Michel Langevin (aka Away) (batterie) recueillis par Axl Meu
Ravi de faire ta connaissance Michel ! Comment te portes-tu ?
Je me porte plutôt bien ! Les réactions vis-à-vis du premier morceau qu’on a sorti sont vraiment extra’… En général, il y a toujours une masse d’anxiété qui s’accumule plus la sortie d’un album approche… Mais là, c’est vraiment très encourageant !
Revoilà Voivod avec un nouvel opus ! C’est Synchro Anarchy, il arrive quatre ans après The Wake. The Wake avait, à l’époque, fait l’unanimité. Il s’inscrivait dans la logique de ce Voivod a toujours proposé, à savoir une musique technique, mais très vivante. J’aimerais savoir comment vous avez abordé la question de l’écriture de ce nouvel album, partant du principe que ces deux dernières années ont été assez difficiles pour le groupe…
Conscient du succès de The Wake, on savait qu’il nous fallait respecter un certain standard de qualité pour la suite. C’était vraiment ça l’idée ! Nous avons vraiment commencé à réfléchir à notre opus après la fin de notre tournée européenne en compagnie de Gwar… Pour commencer, tout n’était que sessions d’improvisation. Aussi, Chewy (guitare, NDLR), de son côté, avait commencé à réfléchir à quelques de riffs… Puis est venu mi-mars 2020, le début du confinement. Tout s’est arrêté, donc on a préféré se focaliser sur d’autres choses et sortir des enregistrements live comme Lost Machine Live, un live que nous avions enregistré au festival de Jazz de Montréal en 2019. Nous ne pouvions plus nous voir pour répéter, donc nous avons fait les choses autrement : composer, tout en respectant les règles de distanciation sociale. Ensuite, quand les restrictions ont été allégées, nous avons commencé à donner quelques concerts en ligne et jouer des albums comme Nothingface et Dimension Hätross dans leur intégralité !
Que pourrais-tu nous dire au sujet du contenu de Synchro Anarchy ? De quoi parle-t-il ?
Snake (Chant, NDLR) pourrait t’en dire plus à ce sujet. D’ailleurs, pendant la confinement, il a monté son propre studio d’enregistrement dans sa maison pour que l’on puisse pratiquer. Néanmoins, finalement, il s’est quand même retrouvé tout seul, car les restrictions ont été alourdies une fois son studio fini ! Il s’est retrouvé tout seul… Je me souviens lui avoir demandé s’il voulait parler de la pandémie dans ce nouvel opus… Ce n’était pas forcément le projet au départ, mais finalement, quand on écoute l’album attentivement, on peut y retrouver un côté aliéné, isolé. À titre personnel, je peux sentir la pandémie dans ses textes, même si c’est indirect. Le sujet est assez sombre, c’est clair, même si d’autres morceaux comme « The World Today » ont une tonalité plus optimiste. C’est simple, si tu veux vivre dans un monde meilleur, il faut que tu y participes toi-même. Ce sont des messages classiques, mais importants pour Voivod !
Dis, dans chaque album de Voivod, on y retrouve ce côté « dérangé ». C’est notamment le cas sur le titre « Memory Failure », le dernier de l’opus ! Je trouve que le vibrato de Chewy participe à son climat anxiogène… Dis m’en plus !
En fait, « Memory Failure » est vraiment venu de rien. Et si je me souviens bien, c’est l’un des derniers morceaux que nous avons composés pour l’album. Certaines de ses parties ont été tirées des fameuses sessions d’improvisation de janvier 2020… Nous avions huit morceaux au départ, puis, Chewy est arrivé avec ce titre… Il est plus agressif, plus « Thrash » que les autres de l’album… Après, je ne sais pas comment il fait pour composer. Tout ce que je sais, c’est qu’il a une approche cinématographique, très classique de la musique. Je ne sais pas s’il écoute du classique. Je sais qu’il enseigne le Jazz au collège… C’est un gars qui a énormément de connaissances musicales.
Tu me parles de Jazz. Je ne peux m’empêcher de penser à cette formation de Black avant-gardiste, Imperial Triumphant. Je sais que ses membres sont d’énormes fans de Jazz !
Oui ! Je les connais. C’est eux qui ont repris une chanson de Voivod, non ? (Exact ! Le groupe a repris « Experiment », NDLR). C’est vraiment un bon groupe ! Après, personnellement, j’aime beaucoup le Jazz avant-gardiste, mais mon côté Jazz vient plus de plus Rock Progressif avec des groupes comme Soft Machine, Vandercraft Generator et King Crimson. C’est vraiment ces groupes qui ont forgé mon approche de la musique.

« C’est vraiment important pour moi que nos musiques restent dansables, que nos fans puissent « headbanguer » dessus. »
Synchro Anarchy est le deuxième opus avec Rocky à la basse… On peut voir qu’il s’est clairement approché les codes de la musique de Voivod… Quel a été son apport sur ce nouveau disque ?
Il a apporté beaucoup de choses. J’adore comment le guitare et la basse se répondent sur cet opus ! Chewy et Rocky sont presque devenus des pros’ dans ce domaine ! Quand tu développes cette idée de questions / réponses, il faut faire attention que chaque instrument puisse s’exprimer, que l’ensemble soit à la fois riche, mais trop surchargé. La basse sonne superbement bien sur l’opus, comme tous les autres instruments en fait. J’adore le son de cet album… Il est un peu sec, certes, mais ça permet à tous les morceaux d’être présents ! Francis Perron, notre producteur, apprend beaucoup avec nous, et on apprend beaucoup de lui également. Depuis Post Society, notre équipe avance : on essaie toujours d’améliorer nos produits, si on peut parler de « produit ».
Le son de Voivod est toujours très organique… Votre musique est technique, mais elle reste toujours très vivante. Comment faites-vous pour garder ce côté « live » en toutes circonstances ?
C’est vraiment important pour moi que nos musiques restent dansables, que nos fans puissent « headbanguer » dessus. Donc, naturellement, après avoir programmé la batterie, j’ai été amené à faire quelques ajustements en studio, de simplifier certaines parties pour garder ce groove qui est cher. Certes, il m’est arrivé à plusieurs reprises de jouer avec les signatures rythmiques, de créer des cassures dans le rythme comme à l’époque de Nothingface et Dimension Hatröss. Globalement, dans la construction de Synchro Anarchy, il y a des éléments qui sont très progressifs, des changements très rapides. Néanmoins, il a fallu que j’adapte l’ensemble de sorte que le rendu ne soit pas « robotique ».
Maintenant que l’opus est prêt, quand pensez-vous revenir en Europe ?
On a vraiment hâte de revenir en Europe. Notre tournée n’arrête pas d’être repoussée du fait de la pandémie… On doit se produire en Amérique du Nord, au Sud, au Japon, en Australie, en Europe. Partout ! L’essence de Voivod, c’est la scène. D’ailleurs, c’est une des raisons pour laquelle nous avons donné ces concerts en ligne. Pour le moment, la situation reste incertaine à cause de ces histoires de variants, mais bon… On verra ! Peut-être que nous serons amenés à organiser d’autres shows en ligne…
Au fait, est-ce que tu sais si vos albums de l’ère MCA Records seront réédités dans les mois qui viennent ? Je pense notamment à l’album The Outer Limits…
The Outer Limits est déjà disponible en édition vinyle, réédité via Real Gone Music… Néanmoins, je peux t’affirmer que Voivod travaille actuellement sur des rééditions d’Angel Rat, NothingFace… Il y a d’autres rééditions de l’ère Noise Records qui devraient voir le jour. Aussi, nous sommes également en train de travailler sur une réédition de l’album Voivod que nous avions fait avec Jason Newsted en 2003. À l’époque, il n’était pas sorti en vinyle.
Est-ce que le son de cet album sera retravaillé ?
Non ! En toute sincérité, j’aime beaucoup le son de cet album. En fait, on nous a souvent demandé si on allait remixer Angel Rat ou même de Rrröööaaarrr… En fait, je trouve que le son de chaque album représente bien une époque particulière. Par exemple, Rrröööaaarrr, c’est le Thrash Metal bien énervé des années 80, Angel Rat, eh bien, c’est le son du Metal alternatif des années 90, et ainsi de suite. Je suis fan des Doors, tu sais. Une fois, pour le faire plaisir, je me suis procuré une compilation ne comprenant que des versions remixées des standards du groupe… Certes, j’ai apprécié le fait que la base soit plus mise en avant, mais finalement, j’ai été assez dérangé. Je ne me sentais pas vraiment dans les années 60… Je trouve qu’un bon travail de mastering se suffit à lui-même.
Voivod étant une institution dans le monde des musiques extrêmes et par dessus. À ton avis, qu’avez-vous concrètement apporté à la scène extrême ces 35 dernières années ?
2023 sera une année assez particulière puisque ce sera l’année de nos 40 ans ! On devrait sortir un livre et un documentaire, réalisé par Felipe Belalcázar.
Concernant notre apport, je dirais qu’on a ouvert des portes ! Au départ, nous étions plus des fans de Rock Progressif et, finalement, nous avons réussi à apporter ça dans notre Metal brut. D’ailleurs, il a fallu attendre le temps pour se rendre compte de l’influence que Voivod a eue sur d’autres groupes. Je pense notamment à Meshuggah, Fear Factory et Tool. Au départ, je ne savais pas que ces groupes étaient influencés par notre travail, mais il s’avère que si ! C’est ce que j’ai appris lorsque nous avons partagé la scène ensemble ! Un peu comme Killing Joke en fait. Notre musique peut déconcerter à première vue, mais finalement, ces groupes ont fini par s’en intéresser !
Voivod, c’est :
Away : Batterie
Snake : Chant
Chewy : Guitare
Rocky : Basse
Discographie :
War and Pain (1984)
Rrröööaaarrr (1986)
Killing Technology (1987)
Dimension Hatröss (1988)
Nothingface (1989)
Angel Rat (1991)
The Outer Limits (1993)
Negatron (1995)
Phobos (1997)
Voivod (2003)
Katorz (2006)
Infini (2009)
Target Earth (2013)
The Wake (2018)
Synchro Anarchy (2022)
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