Programmé dans le cadre de la prochaine édition du Rock In Bourlon et à The Black Lab en avril prochain, Fange a aujourd’hui fait paraître son cinquième album Privation. Cet opus a été mis à l’honneur dans un film réalisé par Mathias Averty et Corentin Schieb. Intitulé « Attaque Le Soleil », le court-métrage est un objet singulier qui demande une attention toute particulière. Pour appréhender au mieux ce film, nous nous sommes entretenus avec ses réalisateurs.

Propos de Mathias Averty et Corentin Schieb recueillis par Thomas Deffrasnes


D’où connaissez-vous les membres de Fange ?

Mathias Averty : Ils sont nantais comme nous, et on s’est croisé à force de concerts et soirées. Ce n’est que par la suite que le lien de confiance et l’envie de travailler ensemble sont nés. C’est un groupe très professionnel, à la fois extrêmement violent, mais aussi très abrasif sur scène comme sur CD. Cela dit, l’approche de leurs compositions se veut aussi très cérébrale. En effet, ce sont des personnes cultivées très intéressantes. Pour l’anecdote, leurs textes sont écrits en alexandrins ! 

Corentin Schieb : Lorsque nous l’avons approché pour évoquer cette idée de clip, il y a eu un vrai coup de cœur mutuel. Que ce soit artistiquement ou humainement parlant, le dialogue s’est vraiment épanoui entre nous. Sans ça, nous n’aurions pas pu arriver au résultat escompté : au plus proche de la musique que propose Fange.

Le studio est un centre de création crucial. Vous avez accompagné Fange dans cette étape. Cette expérience du son a-t-elle été enrichissante dans la création du clip ?

Mathias : Tout à fait, car, bien que les textes soient la racine première de l’écriture du clip, nous sommes aussi passés par l’étape par laquelle on a appris à ressentir leur musique, à l’apprécier différemment. Puis ça nous a permis d’être acteur mais aussi témoin d’échanges profonds qui justifient leur compositions. Les notions de rédemptions, de spiritualité, de fatalisme… 

Corentin : Ou encore de quitter d’enterrer ses utopies, qui sont aussi des thèmes omniprésents chez Fange. L’idée étant de s’offrir au monde ici et maintenant. Et effectivement, partager cette étape de studio avec le groupe a fait naître des images de nos esprits, qui sont ancrées dans notre film désormais. Cette étape a donné la couleur de ce qu’allait être « Attaque Le Soleil ».

« Les textes d’ « À La Racine » et « Sang-Vinaigre » se suivent et s’accordent, si bien qu’on peut y voir une seule et même histoire »

Ce court métrage met en images deux chansons, « À La Racine » / « Sang-Vinaigre », qui sont réunies en un seul clip. À la fin, vous y avez ajouté un troisième tableau issu de votre imaginaire, ce qui forme finalement un triptyque. 

Corentin : Nous aimons avoir le temps de raconter les histoires, et cette narration impose d’avoir des morceaux suffisamment longs. Un clip de trois minutes ne laisse pas suffisamment de temps pour poser et développer les idées que l’on avait, poser une atmosphère… Nous pratiquons un cinéma de la lenteur et de la contemplation. Ici les textes d’ « À La Racine » et « Sang-Vinaigre » se suivent et s’accordent, si bien qu’on peut y voir une seule et même histoire.

Mathias : Le monologue, permet de proposer de nouvelles clés de compréhension, mais aussi un lien entre les deux titres. Ça nous a aussi permis de faire un peu de fiction, ce qui était depuis longtemps dans nos projets.

Il y a une notion palpable ici : celle du souvenir, du temps qui passe. 

Mathias : Bien des artistes nous ont influencés dans cette création, et pas seulement Fange.  Dans le domaine littéraire notamment, où Wajdi Mouawad, un dramaturge qui a beaucoup questionné la mémoire et les origines,  nous a inspiré. Cet univers jonché de traumatismes et de fractures nous a permis d’élaborer cette histoire des deux frères. Ces deux personnages ont quelque chose à expier et se mettent en guerre contre le soleil qui les dépasse considérablement. 

On retrouve notamment cet auteur dans le tableau central, ce monologue que vous avez imaginé.

Mathias : Wajdi Mouawad est intimement lié à ce passage, et à son roman Anima. Mais ce n’est pas le seul. Le style d’écriture à la fois  lapidaire et envolé n’est pas sans rappeler Laurent Godet. Leur plume a influencé la nôtre pour ce passage ; ces dimensions fatalistes et tragiques.

Corentin : Ainsi, nous avons l’acteur s’approprier le texte avec une certaine liberté. Ce qui apporte une diction théâtrale à ce passage. J’aime l’idée d’avoir un objet hybride à mi-chemin entre le théâtre et le cinéma. 

Les deux frères que l’on suit sont dans une dualité perpétuelle. Elle se ressent à travers tous les éléments qui constituent ce film...

Corentin : C’est peut-être le côté Metal qui ressurgit pour le coup ! Toute cette dualité, mais dans laquelle ne faut pas tomber à tort. Ne pas être dans un perpétuel « clair-obscur », mais aller chercher plus loin que ça. Le métal est en réalité empreint de nuance et de dualité. C’est aussi pour ça qu’on a choisi de montrer les personnages dans leur vulnérabilité. C’est le point de toute nuance, là où on les représente dans tous leur spectre. 

Les caméras utilisées suggèrent aussi bien des choses… 

Corentin : En effet, le choix n’est pas hasardeux. Nous avons tourné le clip avec deux caméras numériques pour les deux tiers des plans, puis une caméra DV pour le tiers restant. Cette dernière apparaît à partir de « Sang-Vinaigre », où l’on se retrouve dans une ellipse temporelle, propulsé trente ans en arrière, avant « À la racine » . Ainsi cette quête dans les souvenirs devait aussi se  traduire à l’écran, et suggérer une forme de nostalgie. Raconter les souvenirs au travers d’un grain aussi particulier apporte concurremment une dimension onirique. 

« Nous aimons avoir le temps de raconter les histoires, et cette narration impose d’avoir des morceaux suffisamment longs.« 

Je perçois aussi une volonté un peu voyeur…

Mathias : C’est le côté cinéma d’horreur, un peu « fan footage », et qui finalement apporte de nouvelles interrogations… Qui tient alors cette caméra, qui est ce troisième personnage ? Et effectivement, ça peut créer un malaise, qui fait sens ! 

Comment la direction d’acteurs s’est-elle déroulée sur ce tournage ?

Corentin : Nous sommes allés de surprise en surprise, mais celles-ci étaient toujours appréciables. Que ce soit le rôle solitaire d’Alexandre Picot, qui a eu la lourde tache de porter à lui seul toute la première partie du film, ou encore le duo Raphaël Harié/Raphael Reboul, qui en plus d’avoir une superbe synergie évolue dans des scènes à la fois violente et intimes, nous n’avons que pu apprécier le talent et l’intérêt de chacun. Ça s’est passé avec un naturel étonnant ! 

Vous êtes de Nantes… Et, aujourd’hui, la musique Metal, et par extension le arts sombres, ont un cachet de qualité lorsqu’ils proviennent de votre ville. Comment justifier ce microcosme ?  

Mathias : C’est vrai que nous avons tous grandi avec le Hellfest ici ! C’est là que les amitiés se sont tissées et qu’une petite communauté Metal a émergé à Nantes. Ajoutons aussi qu’auparavant, le ville était ringarde, jusqu’au années 90.

La ville a été sauvée par une culture « D.I.Y. », et par conséquent Punk/Rock. André Breton disait qu’il y avait toujours quelque chose à faire à Nantes ! Le Hellfest a parachuté par la suite  la culture Metal sur la ville. C’est pourquoi il y a toujours des groupes très cools et très curieux qui naissent ou passent à Nantes. Que ce soit le Ferrailleur, le Stéréolux, Les Acteurs de l’Ombre Productions, Frozen Records, Violent Motion… De nombreux acteurs font prospérer cette scène.

Corentin : Et tout ça dans un cadre urbain assez petit finalement. Ainsi tout le monde se croise, vient à s’entre aider sur les mêmes événements, arpente les mêmes concerts… Les amitiés qui en émergent sont sincères, et les liens qui sont tissés sont durables. Je pense que tout ça a initié la vague d’artistes nantais, reconnus et appréciés dont tu parles.  

Pour plus d’informations : https://www.facebook.com/fangesludge

A propos de l'auteur

Rédacteur en chef d'Heretik Magazine

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