Depuis que les réseaux sociaux, et notamment YouTube, sont devenus un tremplin pour une génération en quête de nouvelles formes de communication, tous les styles de musique ont vu des personnages venus d’horizons divers émerger et devenir, pour une poignée d’entre eux(elles), de véritables stars. Le Metal n’a pas échappé à cette règle et, bien que plus marginales par rapport à d’autres genres, certaines chaines s’enorgueillissent de milliers d’abonnés. Parmi les youtubers spécialisés dans le métal, un personnage atypique attire la curiosité par ses vidéos chirurgicales sur le Black Metal et son humour noir décalé et sarcastique : Sakrifiss. L’homme au masque en jean et au célèbre “Malsoir” a accordé à Heretik Magazine une longue interview dans laquelle il explique sa passion pour le Black Metal, ainsi que ses projets musicaux, notamment Enterré Vivant avec qui il vient de sortir un deuxième album, Shigenso.
Propos recueillis par Fred VDP
Salut Sakrifiss ! Tout d’abord merci d’accorder du temps à Heretik. On te connaît avant tout pour tes vidéos sur YouTube. Quand et comment t’est venue, un jour (ou une nuit) l’idée de parler du Black Metal sur un réseau social, masqué d’un simple jean ?
Malsoir ! Comme tout dans une vie, une décision découle tout simplement de tout ce qui s’est passé auparavant. Alors pour expliquer pourquoi j’ai commencé à faire des vidéos, il faut remonter à plusieurs étapes : la première expliquera pourquoi je m’intéresse au Black Metal : parce que je suis tombé dedans dans les années 90. la deuxième, pourquoi j’ai décidé d’en parler au lieu de rester un simple auditeur : parce que vers 2008 le forum que je consultais, Postchrist, était dans une bonne dynamique et que la plupart des membres les plus actifs ont décidé de faire des chroniques afin de mieux alimenter encore la partie du site présentant des albums. la troisième, pourquoi le faire désormais en vidéo également : parce qu’en 2017 j’ai eu envie de m’adresser à un public qui ratait peut-être ce que je faisais sur le site que j’avais rallié, Thrashocore. Je voulais continuer les écrits, mais les compléter par des petites présentations filmées.
La dernière question concerne le fait de le faire masqué. Je fais partie de la génération qui ne se soucie pas du visage des gens. La génération principalement du « corpse paint ». N’étant pas très doué en maquillage, j’ai décidé de cacher mon visage d’une autre manière, avec ce que j’avais sous la main, car je n’allais pas non plus m’amuser à fabriquer quelque chose de très développé. Ce ne serait pas très black metal de sortir ma trousse à couture ou ma boite à outil pour me forger un nouveau faciès. Des ciseaux et un jean ont suffi. Et à vrai dire, cette idée remonte à plus loin que mes premières vidéos puisqu’un avatar était réclamé sur Postchrist et qu’il fallait obligatoirement mettre sa propre apparence. J’avais fait la première version de mon jean découpé à ce moment-là, il y a donc une quinzaine d’années.
La culture Metal, et principalement Black, est-elle vraiment différente au Japon (pays dans lequel tu t’es exilé depuis quelques années) de ce qu’elle est en occident ?
La scène Black n’existe pratiquement pas. Tu auras toujours des gens pour te dire qu’il y a une scène avec des japonais passionnés. Évidemment, c’est le cas, mais c’est comme si tu cherchais des passionnés de bonsaïs en France. Il faut soit creuser pour les trouver, soit avoir de la chance… Par contre, le Metal est plus accepté dans la musique populaire, dans le sens où tu trouveras plus de groupes non-metal qui en intègrent dans leur musique. Sans parler de Baby Metal, il y a beaucoup de groupes de Idol qui mettent un passage Death dans un morceau. Ils ont généralement un public d’hommes d’âge moyen qui y sont sensibles.
Quel est justement ton point de vue global sur le Black Metal en 2023 ? Et d’une manière plus précise sur le Black Metal français ?
La scène est tout simplement ce qu’on connaît d’elle. Celui qui se contente de faire ses achats en ligne sur une distro particulière sans se soucier des réseaux sociaux par exemple n’aura pas la même vision que celui qui va obligatoirement sur Facebook pour trouver d’éventuels pseudo-scandales qui animeraient sa journée. On se plaint souvent de choses dans la scène que l’on pourrait éviter de découvrir si l’on ne se rendait pas aux mauvais endroits. Chacun a sa responsabilité dans ce qu’est « la scène ». C’est facile de retourner sur un webzine comme Thrashocore et de retrouver la manière de communiquer d’il y a 15 ans. C’est aussi possible de se contenter des labels underground qui existent encore et ne pressent que des formats K7, ou vinyles… Il faut arriver à adopter les gestes qui correspondent au monde qu’on veut intégrer…
Par contre, si la question touchait plus au contenu de la scène Black Metal dans son ensemble, je constate juste qu’il n’y a plus de tendance unique dans le Black Metal. Nous avons eu des modes (sympho, pagan, dépressif, retour du trve, post). Et là nous remarquons plutôt que tous les genres existent en même temps sans que l’un d’eux puisse être considéré comme dominant.
Le black français a toujours été très vivace, mais les Français s’en sont rendus compte assez tardivement. Les Légions Noires ont plus de succès maintenant qu’à l’époque. A la fin des années 90, beaucoup pouffaient lorsqu’un groupe chantait en français. Il fallait que ça chante en anglais pour être crédible. Je vois donc l’effet contraire, et tant mieux pour nos groupes, mais cela cache aussi aux yeux de beaucoup la qualité d’autres scènes, qui mériteraient d’être plus mises en avant. L’Amérique du Sud par exemple.
Parallèlement aux vidéos, on peut t’entendre sur deux projets musicaux : Enterré Vivant et PeurBleue. Peux-tu nous dire quelques mots sur ces deux groupes totalement différents ?
J’ai été approché par Erroiak il y a trois-quatre ans parce qu’il voulait utiliser des paroles que j’avais prononcées dans une de mes vidéos. Il souhaitait les mettre en musique. Puis il m’a proposé de poser ma voix sur le refrain. C’est assez naturellement que nous avons poursuivi pour passer à un deuxième titre, un troisième, et à la formation du groupe puisque nous avions compris que nous allions faire ainsi tout un album. C’est devenu Enterré Vivant.
Et pour Peurbleue, c’est totalement le contraire. J’ouvre ma boite mail, et je vois le message d’un inconnu qui me demande si j’ai un chanteur à lui proposer pour son projet. Je lui demande un extrait, et j’ai essayé d’y poser ma voix. Je lui ai donc proposé de prêter ma voix sur quelques titres, et comme ça fonctionnait plutôt bien, j’ai demandé à être un membre à part entière. Le fait que ce soit un style totalement différent de l’atmosphérique d’Enterre Vivant m’a bien motivé. Et finalement nous avons sorti un album sur le label Les Acteurs de l’Ombre Productions en 2022.

Le deuxième album de Enterré Vivant, Shigenso, est sorti il y a quelques semaines. Peux-tu nous parler de son processus de création et pourquoi le choix des 4 éléments comme thématique?
Nous avions sorti notre premier album en 2021 sur Drakkar. Nous en étions satisfaits, mais nous avions envie de plus explorer notre personnalité, et donc notre dualité. Le fait est que l’un est plongé dans la culture occidentale et l’autre dans la culture asiatique, principalement japonaise. C’est ce que nous avions commencé sur l’EP Shiki, qui parlait des 4 saisons en 12 minutes, comme il y a autant de mois. Il me fallait une thématique qui soit très imprégnée de la pensée japonaise, tout en étant également abordable en Occident. Les éléments s’imposaient donc d’eux-mêmes. Je voulais rester sur leur côté purement naturel, et non spirituel, donc je suis resté sur les quatre principaux : le vent, le feu, l’eau et la terre. Nous avons ensuite travaillé morceau après morceau.
Comment se passent tes sessions d’enregistrement avec Erroiak (qui habite en France) ? Enregistrez-vous tout à distance ou vous arrive-t-il de vous voir en studio ?
Je n’ai jamais rencontré Erroiak. Je suis un peu compliqué justement avec les rencontres physiques. Il m’est arrivé de rencontrer certaines personnes, et ça ne s’est pas trop mal passé avec la plupart, mais je ne suis pas très naturel dans ces situations-là. Je sais mieux exprimer mes besoins et mes envies à distance. Le téléphone est donc aussi contrariant, car je ne peux dire que ce qui me passe par la tête au moment de la discussion, et de nombreux oublis sont à déplorer. J’enregistre donc mes voix de mon côté, je les plaque sur la mélodie créée par Erroiak en faisant de nombreux essais, et je lui envoie le résultat. Il s’occupe ensuite du mix et de la plupart du reste. Je me contente de donner des instructions sur le concept, les ajouts de sons ou d’instruments, éventuellement des idées de chant.
Sakrifiss youtubeur, Sakrifiss musicien et chanteur, mais il y a aussi le Sakrifiss écrivain ! As-tu prévu un tome 2 de ton livre sur le Black Metal paru aux éditions Les Flammes Noires ?
Oui, je suis un peu comme Barbie. Tu as Barbie hôtesse de l’air, Barbie cuisinière, Barbie avocate… Sakrifiss écrivain a deux idées de nouveaux livres. Mais ce ne sera pas une suite. J’ai dit tout ce que je souhaitais sous l’angle voulu dans le premier. C’était des réflexions tirées de mes expériences pour essayer de présenter ce qu’est, ou ce que peut être, le Black Metal. Comme je n’aime pas parler de ce que je n’ai pas encore accompli, je n’en dirai pas plus, mais en tout cas je risque bien de recontacter Les Flammes Noires dans quelques mois…
Je sais que tu n’es pas un fan de concerts mais aura-t-on un jour la chance de voir Sakrifiss sur une scène avec l’un de tes projets ?
Il ne faut jamais dire jamais. J’affirmais que je ne serai jamais chroniqueur et je le suis devenu. J’étais sûr de ne jamais faire mon propre album et j’en ai sorti plusieurs… Donc je risque de ne pas être très convaincant en expliquant que je ne me vois pas faire de concert. En fait, il faudrait que diverses conditions soient remplies, et c’est ce qui complique l’affaire. Quand ? Où ? Mais surtout comment s’y préparer ? Ce qui me conviendrait, ce serait d’inaugurer le concert du futur, dans le métavers. Sakrifiss de chez lui, Erroiak de chez lui… Non ? Mauvaise idée ?
Pour terminer, à la manière de Sakrifiss, un petit mot particulier pour les lecteurs de Heretik et les fans des Hauts-de-France qui te suivent régulièrement sur YouTube ?
J’espère tout simplement que tout le monde trouve des groupes correspondant à ses moignons ! Je ne suis jamais plus satisfait que lorsque l’on me remercie d’avoir fait découvrir ceci ou cela. J’en suis plus fier que lorsqu’on me dit que je suis rigolo, ou que mes mots crus sont tordants. La finalité est tout de même que les groupes présentés soient soutenus. Donc arrête de rire et va acheter des albums, quelque soit le format !